ROUGE

Du rouge et du marquoir

Le Rouge 815

A l’origine, je pense textile, fils. Vous l’aurez remarqué, tout est lié et complémentaire et nos pensées voyagent à travers les couleurs vers des domaines inattendus parfois. 

Si je pense Rouge, je vois venir les marquoirs, vous savez ces pièces de tissus brodées, anciennes, véritables tissus d’apprentissage de nos grands mères. Nous en trouvons sur les brocantes, dans les malles anciennes sorties des greniers, dans les réserves d’Emmaüs… Elles atteignent maintenant des prix bien élevés. Bien entendu, ces pièces ne sont pas seulement en Rouge mais cette couleur est très présente chez nous.

Rien de trop naturel dans ce rouge là. Au XIXème, la découverte de la molécule et le fabrication de l’Alizarine de synthèse permet à D.M.C. de développer la palette de son coton à broder. Son rouge profond 815, célèbre chez les crucifilistes, va remplir des mètres carrés de toile et faire des ribambelles d’initiales pour marquer le linge. Bien sûr, nous sommes au XIXème et le marquoir est une occupation, a une fonction éducative tandis qu’auparavant, il servait aussi de mémoire. Pas de revues, de tutos pour apprendre les points et à l’origine, il est important de les mémoriser quelque part. C’est le point de départ de ces échantillons ou samplers. 

Revenons à notre XIXème siècle : le linge est une richesse. On exhibe son armoire, on notifie dans les actes notariés les paires de drap que l’on possède, ils font partie des trousseaux et des actes de décès. Autre moment important lors de la lessive : il faut bien repérer son propre linge et faire des « marques » pour éviter les confusions.

  

Au XXème siècle, cette pratique perd son usage. Les guerres ont mis les femmes au travail en extérieur, la vague féministe fera le reste. Bien entendu, je simplifie à l’excès. Mais les grandes lignes sont là. Retenons que les femmes émigrées aux Etats Unis ont gardé une certaine nostalgie de leurs racines. Et c’est probablement pour cela qu’elles ont pratiqué cette broderie, qu’elles l’ont cultivé et perpétué les usages, raconté des histoires. Depuis les années 80, de grands noms nous ont « autorisé » à aimer cela à nouveau. Régine DESFORGES, Geneviève DORMANN ont repris cette passion partagée aussi par COLETTE et l’ethnologue Thérèse de DILLMONT dont vous connaissez probablement l’ouvrage de collectage des broderies.  

Pour ma part, j’ai été touchée par les œuvres de  Michèle GLEIZER cette actrice qui a su donner au point de croix, un style. Elle brodait pendant les représentations, les entractes, excellent antistress. Sa gentillesse, son plaisir de partager et parler de ses œuvres restent imprimé dans ma mémoire comme une belle rencontre, simple et juste. J’ai aimé cet équilibre entre la mémoire et la nouveauté, la liberté dans ses graphismes et ses compositions. Les petites vaches suisses se promenaient sur la toile, entre divers messages et des couleurs délicates.  

Je m’éloigne de la couleur rouge mais je voulais parler de ces points de croix qui représente bien les femmes aussi. Souvenons nous qu’ils ont souvent été réalisés avec respect de la toile, du fil et par fierté. Le temps que des générations de femmes ont accordé à ces travaux, était du temps volé sur le travail vital du quotidien. Lorsque nous voulons dans nos maisons, une place pour notre atelier avec de la lumière, des rangements, du confort, je ne peux m’empêcher de penser à toutes ces brodeuses qui ont tiré l’aiguille par nécessité ou par plaisir sur un coin de la table de la cuisine, parfois  la nuit lorsque tout le monde dans la maisonnée est couchée, sans reconnaissance. Cette « activité » pouvait leur donner de la fierté, de l’estime de soi et avoir un sens mais les conditions de réalisation n’ont certainement pas toujours été à la hauteur de leur travail. Ne l’oublions pas et lorsque nous regardons ces marquoirs brodés de ce fil rouge, pensons aussi combien acheter une bobine de fil, pouvait demander d’économiser, de mettre de côté sou à sou, pour acquérir cette précieuse couleur.  C’est probablement le cas encore actuellement, pour nombre de gens si on regarde bien autour de nous. Alors, le meilleur service à rendre est de ne pas gaspiller nos matériaux et de respecter les matières. 

En ces temps de confinement où nous brodons au coin du feu peut être, je ne peux m’empêcher de penser que nous avons un temps rare ou tout s’arrête certes mais qui nous autorise aussi à raconter en fil et en couleurs ce que nous vivons. Je vous y invite…

Et de votre côté, avez vous des marquoirs de votre famille ? Avez vous récupéré des pièces qui vous ont particulièrement émues ? Partageons ces émotions si vous le voulez bien.