Voici un texte de mon amie Nicole
une drôle de livraison.
Certains promeneurs reconnaîtront les lieux que nous avons parcouru le 11 mars dernier.
Merci Nicole.
une drôle de livraison.
Certains promeneurs reconnaîtront les lieux que nous avons parcouru le 11 mars dernier.
Drôle de livraison
Je me suis relevé difficilement. J’écartai avec le pied les feuilles mortes qui m’avaient sans doute fait chuter. Je rencontrai une résistance, un léger dénivelé. J’observai mieux l’espace à mes pieds. J’avais repoussé les feuilles mais ce n’était pas la terre et les pierres du chemin que je découvrais. C’étaient des dessins, des entre-lacs de couleur faits de minuscules carreaux assemblés. Une mosaïque ! Je m’y connaissais peu en mosaïque. Mais le nom d’Odorico me revint! On l’avait étudié en cours d’histoire de l’art. Je m’agenouillai pour mieux continuer mon nettoyage et observer. Le dessin que je découvrais au fur et à mesure était d’importance. Soudain mes yeux tombèrent sur ma boîte. Ma superbe boîte rouge qui aurait dû être accrochée à mes épaules. Elle était renversée un peu plus loin . Je voyais le logo blanc, le pierrot endormi sur un croissant de lune que j’ai mis beaucoup de temps à choisir. Mais par bonheur elle ne s’était pas ouverte . J’avais complètement oublié la raison de ma venue ici… Ma livraison ! Je suis livreur. Et tenu à des horaires stricts. J’avais laissé mon vélo à l’entrée de l’allée. L’endroit m’avait paru bizarre ou du moins guère entretenu si j’en croyais les herbes folles et les ronces qui m’accueillaient. M’étais-je trompé d’adresse ? Pourtant j’avais vérifié le n° sur le portail, le 273, rue St Martin. J’aurais mal noté l’adresse, alors ? Mais comme au bout de l’allée m’attendait une belle maison, j’ai donc rangé mon vélo et me suis avancé vers ce perron. Les volets étaient fermés, rien ne bougeait. Me voici cherchant une sonnette, et je tombe. Odorico , Mon dieu ! c’est bien de ça qu’il s’agit, quelle découverte ! Si cette maison est réellement abandonnée, il faudrait sans doute signaler l’existence de cette mosaïque à une institution quelconque de préservation. Encore des démarches, je ne sait pas si j’en serai capable. Ce que j’avais sous les pieds était sans doute un « paillasson » ! Comme sur les photos qu’on nous avaient montrées en cours. Il en existe encore quelques uns dans certaines entrées d’immeubles.
Et pas seulement à Rennes car la réputation des décorations réalisées par l’entreprise des frères italiens pendant les années folles et après, avait largement dépassé les limites de la région. Le dessin encore un peu sali de terre représentait des poissons qui se faisaient face entre des rubans d’algues. Et sur le pourtour je commençais à distinguer des oiseaux. L’ensemble paraissait en bon état sauf cette tesselle dorée qui semblait déchaussée. J’avais trouvé la responsable de ma chute ! Je la tapotais pour lui faire reprendre sa place. J’entendis comme un déclic. Je levai les yeux croyant que c’était la porte d’entrée qui s’ouvrait. ( Elle était donc habitée ? ) Mais je ne vis plus de maison dans mon axe de vision. La maison avait disparu ! Je regardai à mes pieds, j’étais toujours accroupi sur les poissons en mosaïque. Je réalisai alors que comme je n’avais pas bougé, c’était donc le sol sous mes pied qui avait tourné. Mes neurones fonctionnaient à plein régime : c’était la mosaïque qui avait pivoté ?!! Et je n’avais rien senti ! Comment cela se pouvait-il ? Et ma livraison ? Et mon vélo ? Les questions embarrassaient mon esprit à tel point que je ne pensais pas à regarder devant moi, ni même à me retourner. Je dus revenir promptement à la réalité et ouvrir mes « vrais » yeux. Pas ceux du dedans comme on me le reprochait en me traitant de rêveur « descend de ta lune, Jérémie ! » -le logo, vous avez fait le lien ! A la place de ce qui était la maison, s’étendait un jardin. Un fouillis d’arbustes, de plantes et des fleurs, parcouru de frissons de soleil. Il traînait dans l’air des senteurs fleuries, rose, œillet, muguet. Je pensai aussi « tubéreuse » bien que je ne connaissais pas cette plante et encore moins son parfum. Mon œil commençait à s’y retrouver dans l’ordonnancement du jardin, je repérais les zones de couleur qui alternaient et se répondaient. C’était vraiment très beau. Je me suis retourné. Derrière moi une forêt se dressait, menaçante avec une ombre mystérieuse sous de grands arbres noirs et serrés. Un sentier partait droit sous les arbres. Je ne pouvais rester là à attendre la réapparition improbable de la maison. Je délaissai d’emblée l’option « sentier dans les bois » ayant toujours eu peur du noir et de l’ombre des forêts, sans doute encore infestées des loups de mon enfance. Je devais quitter cet endroit. Retrouver ma bécane, mon gagne-pain ! Ma boite accrochée sur mon dos, je m’engageai dans le jardin. Je n’eus pas à fouler les fleurs. Elles étaient parcourues de dalles de pas japonais. Je les empruntai bien décidé à ne pas les « rendre » . Rires ! (L’absurde de la situation conjugué au stress ) Mon rire nerveux s’estompait à peine que le sentier de dalles grises s’ouvrait en patte d’oie devant moi. Je pris le chemin de droite. Aussitôt il se subdivisa de nouveau. Je maintins mon choix à droite, me disant que pour revenir éventuellement sur mes pas ce serait plus facile. Il en fut ainsi plusieurs fois. J’évaluais mal les distances et le temps passé. Ma montre se mit à sonner. En réalité il ne s’agit pas d’une vraie montre. C’est un biper. Il me prévenait de ma prochaine livraison. Je le mis sur silencieux, inutile de rajouter du stress, la livraison n’était pas la préoccupation primordiale pour le moment ! J’étais près d’un massif qui déclinait tous les tons de rouge, du rouge coquelicot au grenat. Je fus saisi par la beauté d’un érable du Japon aux fines feuilles étoilées, rouge lie de vin. Un lapin détala devant moi me montrant son derrière. Il disparut près d’un gros rocher attirant mon regard de ce côté. Il y avait une sorte de panneau posé au pied du rocher. Je décidai d’à aller y voir, prenant pour la première fois une bifurcation sur la gauche. Ce qui m’avait intrigué était une planchette calligraphiée calée contre la base du rocher. J’y lus l’inscription « Quand une feuille d’arbre tombe, quel mal se faitelle ? » Le pourtour de la plaque était garni d’éclats de mosaïque qui par leurs couleurs me rappelèrent ma « découverte ». Ça me semblait déjà très loin. Je m’approchai me demandant quelle sorte de philosophe ou de poète avait pu concevoir une telle inscription. Je lissais machinalement les tesselles tout en cherchant une réponse. J’étais tombé peut-être sur une sorte de jeu de piste et trouver la bonne réponse me permettrait de sortir de ce traquenard. J’étais sur le point de trouver, j’avais la réponse sur le bout de la langue. Ça m’agaçait et j’astiquai d’autant plus fort une tesselle dorée qui jeta un éclat de lumière sous mes doigts.
***
J’ai émergé difficilement. Des bribes d’un rêve traînaient dans ma tête. Les images me traversaient encore. Je me souvenais de mes jambes immenses de géant enjambant les toits de la ville. J’avais mis un pied sur les arbres du parc St Martin, l’autre au-dessus de la barre St Just et je m’apprêtais à m’accrocher au dôme de de Notre-Dame, pour atteindre la faîtage du Parlement de Bretagne.
Mais je n’étais pas sur le toit du Palais en compagnie des allégories dorées. J’étais assis dans une sorte de réduit. Il y avait deux petites fenêtres. Des rideaux laissaient passer un mince filet de lumière. L’espace était étroit. Je me relevai péniblement, ma tête tournait beaucoup, et écartai ces bouts de tenture. Je me penchai à la fenêtre. Son cadre tout autour de ma tête étaient doré, les rideaux aussi. J’étais perché sur un côté d’une salle de grande dimension où dominaient des tons rouge et or. Mes idées se remirent en place doucement. Allèrent au fond des plis de ma mémoire chercher à quoi pouvait me faire penser ce lieu. Je les imaginais, ces idées fantasques, sautant d’un pas japonais sur l’autre dans un dédale de synapses, évitant les influx nerveux qui klaxonnaient, et heureusement sinon elles auraient été balayées comme par un courant d’air. Quand tout fut plus clair dans ma tête et dans mes yeux, je crus reconnaître enfin la Grand Chambre du Palais du Parlement.
Difficilement car il ne m’avait jamais été donné de la voir sous cet angle, avec cette perspective plongeante d’au moins trois mètres. Mon premier réflexe fut de chercher une porte sur le mur opposé du réduit. Rien. Qu’une boiserie qui me paraissait dorée à la lumière des rideaux entre-ouverts. Tout me revint en un éclair. J’avais trouvé ! Une visite scolaire de ce monument. Quelqu’un avait demandé « M’sieur, c’est quoi la cage dorée au dessus ? » Le guide avait rectifié : il s’agissait de la « loge » royale destinée à recevoir la Duchesse de Bretagne. Mais elle n’avait jamais servi, car aucun escalier n’y menait. La cage était inaccessible ! J’avais bien rigolé avec les copains. Je n’avais aucune idée de comment je m’étais retrouvé là-dedans, mais j’étais bel et bien prisonnier à trois mètres du plancher, certes en bois précieux, mais inhospitalier pour un corps qui chute. C’est à ce moment que je retrouvai la réponse à la question philosophique. « Une feuille ne se fait aucun mal, elle est programmée pour finir son cycle, mais elle le fait tout en grâce et élégance, portée par l’air en mouvement » Je songeai que je pourrais y rajouter maintenant « Elle ne connaît pas Newton et ne l’expérimentera jamais » Mais un grand gaillard comme moi, chutant de cette hauteur pourrait souffrir beaucoup ! Je m’apprêtais à tester l’attraction terrestre, n’ayant aucune autre alternative. Le monument était fermé, c’était le week-end et je n’allais pas moisir dans ce trou, même doré. J’avais entrepris de défaire les sangles de ma boîte, les avaient nouées ensemble, fait un nœud autour du montant entre les deux fenêtres. Ma ceinture et mon sweat rallongeaient le tout ; j’avais encore la ressource d’y rabouter ma chemise. Mais tout d’abord je voulais tester la longueur et fis passer ma corde improvisée dans le vide. Elle était trop courte… A partir de ce moment tout s’est accéléré, le détecteur de présence a fait son travail de détecteur. Le gardien est promptement arrivé, faisant son travail de gardiennage -depuis l’incendie, ils sont doublement vigilants !- Et sur ses talons ,la police prête a faire son travail d’éclaircissement de la vérité, moi dans le panier à salade. Ils ne m’ont pas cru. On est retourné rue St Martin. Le n° 273 n’existait pas. Et surtout plus de trace de mon vélo, mon outil de travail, ma vie, mon pain. Désormais je suis logé et nourri, je vais avoir tout mon temps pour penser à ma reconversion.
Nicole Desgranges
Mai 2017