Lecture Rose

Voyages, voyages

Parler du rose revient à voyager.

Ce matin, je suis au Japon et je regarde les cerisiers en fleurs. Enchantement de la puissance de cette couleur, poésie de ces pétales délicats et éphémères, force et fragilité de l’harmonie.

Pourquoi n’aime-t-on pas le rose ou se moque-t-on souvent de cette couleur dès lors qu’on est capable de s’extasier devant les représentantes de ce ton : Je parle bien entendu des roses, des cerisiers, mais aussi d’anémones, de géranium, de tulipes, d’œillets, d’hellébores, des salvias, des hibiscus……
Et puisque je vous parle voyage, je vous invite au Château de Sourches à côté du Mans, conservatoire de la pivoine. Vous êtes toujours accueillis chaleureusement par la maîtresse des lieux, passionnée de ses fleurs.
Le jardin est ouvert depuis le 11 mai : nous nous promenons dans un bain de couleur,  au milieu des 2500 pieds de pivoines différentes. Bien entendu, elles ne sont pas toutes roses mais attestent de la capacité de cette couleur à s’harmoniser avec toutes les autres gammes.
Dans les douves, les fleurs nous caressent, abritées par le vent, ensoleillées, arrêtent nos montres et réchauffent nos sens. Notre regard se gorge de douceur et de lumière. Asseyez vous, prenez le temps de vous imprégner. Les fleurs vous donnent le tempo, elles guident vos pas. Vous marchez d’une harmonie à l’autre, des grosses têtes blanches qui ploient sous le poids des pétales aux fortes têtes rouges aux étamines jaunes vives, denses. Les graines charnues et veloutées se dévoilent lorsque les fleurs se déshabillent peu à peu, construction savante et véritables perles de la fleur. 


Du cœur de la pivoine
L’abeille sort
Avec quel regret                            Haiku de Yosa BUSON

Vous passez du blanc au bordeaux, en déclinant toutes les valeurs, toutes les harmonies avec les jaunes et les verts. C’est juste un moment magnifique. On aurait envie de se lover au cœur de ces fleurs généreuses. 
Ce château est aussi intéressant car il a été un acteur important de la préservation des tableaux du Louvres durant la guerre de 39-45. La Liberté guidant le Peuple de Delacroix et la Tapisserie de Bayeux font partie des 400 pièces mises à l’abri dans les caves du château, véritable annexe du musée du Louvre. 
Le conflit, la guerre me conduit à repenser à ce poème très touchant de Guillaume Apollinaire  écrit en mai 1915  Pétales de Pivoine :
Pétales de pivoine,
Trois pétales de pivoine,
Rouges comme une pivoine
Et ces pétales me font rêver

Ces pétales 
Trop belles petites dames
A peau soyeuse et qui rougissent
De honte
D’être avec des petits soldats

Elles se promènent dans les bois
Et causent avec les sansonnets
Qui leur font cent sonnets

Elles montent en aéroplane
Sur de belles libellules électriques
Dont les élytres chatoient au soleil

Et les libellules qui sont
De petites diablesses
Font l’amour avec les pivoines
C’est un joli amour contre nature
Entre demoiselles et dames

Trois pétales dans la lettre
Trois pétales de pivoine

Quand je fais pour toi mes poèmes quotidiens et variés
Lou, je sais bien pourquoi je suis ici
A regarder fleurir l’obus à regarder venir la torpille aérienne
A écouter gauler les noix des véhémentes mitrailleuses

Je chante ici pour que tu chantes pour que tu danses
Pour que tu joues avec l’amour
Pour que tes mains fleurissent comme des roses
Et tes jambes comme des lys
Pour que ton sommeil soit doux

Aujourd’hui Lou je ne to’ffre en bouquet poétique
Queles tristes fleurs d’acier
Que l’on désigne par leur mesure en millimètres
(Ou le système métrique va-t-il se nicher)
On l’applique à la mort qui elle ne danse plus
Mais survit attentive au fond des hypogées

Mais trois pétales de pivoine
Sont venus comme de belles dames
En robe de satin grenat
Marquise
Quelle robe exquise
Comtesse
Les belles f…es
Baronne
Ecoutez la mort qui ronrone
Trois pétales de pivoine
Me sont venus de Paris