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Lettre à Raoul DUFY de Christine

Lettre à Raoul DUFY de Christine


Le Mans, le 27 avril 2020

Cher Raoul,



Me permets-tu de te tutoyer?  Je pense que tu accepterais, tant je suis fan de ton travail artistique. On dit maintenant « je suis fan ». Tu sauras? J’aurais aimé te connaître et que tu me fasses découvrir les domaines que tu as sublimés de ta créativité colorée.

Je voudrais te parler de ton tableau « Hommage à Claude Debussy », que tu as peint en 1952, un an avant ta disparition et plus de trente ans après celle de ton ami musicien. Il est mon fond d’écran de smartphone. Combien de mots comprends-tu dans cette dernière phrase mon cher Raoul?

On dit que tu as récupéré chez Bianchini-Férier, la tenture de droite, bordée d’un quadrillage. Tu as dessiné pour eux de nombreux modèles textiles. En reste-t-il quelque part des pans cachés sous de raides toiles de Jouy ou de sensuelles soies japonaises? Tu aurais fait merveille dans l’atelier de Geneviève où tu nous aurais organisé une master-class. Tu ne sais pas ce que c’est bien entendu! Cela t’aurait sans doute choqué de voir que les femmes travaillent l’art textile en plus d’un métier qui leur assure leur indépendance. Toi, tu étais au service des riches qui ne paient plus l’impôt sur la fortune ; pour eux, tu peignais, tu décorais leur maison et créais leur mobilier. J’aurais voulu voir ça. C’est bizarre, personne ne t’aime assez pour faire une rétrospective de toutes tes oeuvres. Certains critiquent même ton côté touche-à-tout, comme ils l’ont fait pour Mucha, alors que c’est un signe de ton ouverture d’esprit sur le monde de ton époque, embelli de tes arabesques. Va savoir pourquoi si on s’appelle Dali ou Picasso, la chose est possible. Des peintres du soleil, c’est peut-être pour ça? 

Toi de la lumière, tu en mets dans tes tableaux, presque au sens propre avec la Fée Électricité du Musée d’art moderne (Paris). La lumière blanche est dans la couleur, même sombre. Tu es un magicien des couleurs, Raoul. Regarde dans le Debussy, comment de droite à gauche, tu passes du bleu cèdre au vert eucalyptus, puis, au-delà des bords du tableau, cette surface vert petit pois, d’un vert si tendre qu’il en rosit jusqu’au blond pâle des roses qui fanent au milieu des silhouettes des arums. Je pense que c’est en pensant à toi que j’aime autant la forme de l’arum, si délicieusement féminin. Arum, arôme des notes de musique qui s’échappent du fantôme de piano, en aquarelle et légèreté.

J’ai vu ce tableau l’an dernier au Havre. Peut-être le reverrai-je à Paris? Une expo t’est consacrée au musée de Montmartre du 9 octobre 2020 au 11 avril 2021. « Le Paris de Dufy ». Tu m’y donneras rendez-vous? Nous nous rencontrerons comme à chaque fois, dans la beauté des couleurs douces et acidulées, dans le mystère de tes esquisses noires et florales, dans la musicalité de ton rythme dansant. Car tu peins des tableaux qui dansent…

Avant de te quitter, je voudrais te faire connaître ces vers d’une chanson d’Henri Salvador. Les paroles sont de Benjamin Biolay. Deux fameux musiciens que tu aurais pu mêler à ta peinture. Ces vers me viennent lorsque ton « Hommage à Debussy » m’absorbe toute entière.

Je voudrais du soleil vert
Des dentelles et des théières
Des photos de bord de mer
Dans mon jardin d’hiver.


Christine