Vert

Là où œuvre la chlorophylle de Catherine Robert

Là où œuvre la chlorophylle

« Mon ami, cependant, marchait un peu en retrait de moi quand, soudain, je sentis comme un air
frais envahir la salle, et, par mes poignets et mes chevilles m’enveloppant tout entier, pénétrer
enfin mes poumons après avoir dilaté mes narines. Me retournant alors je vis mon ami, agenouillé
près de la porte-fenêtre qu’il venait seulement d’entrouvrir. Il avait changé d’apparence et tenait
en main des pinceaux. On eût dit un moine en prière, quelqu’un comme Fra Angelico. À l’aide de
quelques taches de peinture il s’efforçait de caler la fenêtre pour l’empêcher de se fermer. Une
sorte de pureté chlorophyllienne, voilà ce qui en résultait, les pavés du Carrousel nous envoyaient
aussi leurs effluves. Je reconnus Olivier Debré »

Pour Olivier Debré, L’Atelier contemporain, Francis Ponge, 1963

 Rouge en tache bleue, traces vertes, Olivier Debré, 1993

Assise sur un banc de pierre sable, décoloré par les années, elle balaie, de son index, les traces
brunies de leur maturité, récemment encore noyées par les averses. Des unes, reste un damier
bistre, des autres, une rouille de lichens ou encore une fadeur sombre. Elle murmure «Mon cœur»,
«Anarchie» en suivant du regard les lignes brisées tel un étain qui tirerait vers un bleu terne. Elle
déchiffre un «pour», un «toujours» et elle soupire. Faut-il repenser toutes les amitiés ? Dans la
montée en clair-obscur, des femmes bavardent, duo magenta-prune tandis qu’un citron – papillon
mâle printanier – voltige de l’olivier bicolore au laurier-tin dont les baies violacées l’émeuvent. Elle
diffère l’instant qui lui ferait répondre à ses questions et s’absorbe dans la contemplation du vert-
jaune des gousses de la coronille glauque, fruits absurdes comme des phalanges anis qu’un
plaisantin aurait articulées au sein de la masse végétale pendant que le vent, chargé des fragrances
du tilleul, chatouille ses samares rousses comme un poil d’écureuil, lui chatouille les cheveux
qu’elle a teints en auburn, chatouille les abeilles qui butinent de sauge en lavande. L’œil d’un
peintre graverait les sensations, il étalerait sur la palette, le bronze, le pastel et l’acajou. Elle n’en a
que faire et poursuit le sentier sous le plafond arboré. Les effluves éclairent la gamme chromatique
de leur puissance et toilettent les feuilles à la face claire presque chlorosée et la face vert
émeraude où œuvre la chlorophylle, insensible à la tonalité des affaires humaines.

Jardin de Nîmes, avril 2020
Catherine Robert, le 24/04/2020