SOUVENIR de BLANC
Aujourd’hui, je pense souvenirs. C’est l’effet de Pâques qui approche peut être. Pour ce jour là, je vous propose raconter vos souvenirs liés à ce rituel : vous m’envoyez votre texte par mail afin que je le mette en ligne.
Pensant à ces images, il m’est revenu le souvenir d’un manteau rouge que je quittais ce jour-là car nous arrivions aux beaux jours. Il était magnifique ce manteau que je portais fièrement, bordé d’un col de cygne : je garde intact le souvenir de cette douceur, de cette chaleur.
Tout naturellement, j’entends ce poème de Sully Prud’homme :
Le cygne
Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix,
Il serpente, et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d’une tardive et languissante allure ;
La grotte où le poète écoute ce qu’il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l’azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus,
A l’heure où toute forme est un spectre confus,
Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit
Et que la luciole au clair de lune luit,
L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
La splendeur d’une nuit lactée et violette,
Comme un vase d’argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.
René-François Sully Prudhomme, Les solitudes
Mais j’ai aussi envie de vous proposer ce texte court et magnifique, collecté il y a………lors du Printemps des Poètes de Hamid Tibouchi :
D’UNE BLANCHEUR À L’AUTRE
A une semaine à peine
du premier jour du printemps
le pommier gavé de neige
converse avec Brancusi ou Mondrian
De la tardive blancheur humide
à celle étonnante de tiédeur parfumée
bientôt il éclatera de mille fleurs
blanches un peu rosées
Offrant à nos yeux
fatigués de l’hiver
l’éblouissement ensoleillé
de la Merveille renouvelée
Hamid Tibouchi –
Extraits de « Riens », inédit
Dans mes classiques, j’ai aussi retrouvé La Symphonie en Blanc Majeur de Théophile GAUTIER, véritable ode aux éléments blancs :
Symphonie en blanc majeur
De leur col blanc courbant les lignes,
On voit dans les contes du Nord,
Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
Nager en chantant près du bord,
Ou, suspendant à quelque branche
Le plumage qui les revêt,
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige de leur duvet.
De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les glaciers dans les cieux froids ;
Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée,
A des débauches de blancheur !
Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.
Dans ces grandes batailles blanches,
Satins et fleurs ont le dessous,
Et, sans demander leurs revanches,
Jaunissent comme des jaloux.
Sur les blancheurs de son épaule,
Paros au grain éblouissant,
Comme dans une nuit du pôle,
Un givre invisible descend.
De quel mica de neige vierge,
De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le blanc de sa peau ?
A-t-on pris la goutte lactée
Tachant l’azur du ciel d’hiver,
Le lis à la pulpe argentée,
La blanche écume de la mer ;
Le marbre blanc, chair froide et pâle,
Où vivent les divinités ;
L’argent mat, la laiteuse opale
Qu’irisent de vagues clartés ;
L’ivoire, où ses mains ont des ailes,
Et, comme des papillons blancs,
Sur la pointe des notes frêles
Suspendent leurs baisers tremblants ;
L’hermine vierge de souillure,
Qui pour abriter leurs frissons,
Ouate de sa blanche fourrure
Les épaules et les blasons ;
Le vif-argent aux fleurs fantasques
Dont les vitraux sont ramagés ;
Les blanches dentelles des vasques,
Pleurs de l’ondine en l’air figés ;
L’aubépine de mai qui plie
Sous les blancs frimas de ses fleurs ;
L’albâtre où la mélancolie
Aime à retrouver ses pâleurs ;
Le duvet blanc de la colombe,
Neigeant sur les toits du manoir,
Et la stalactite qui tombe,
Larme blanche de l’antre noir ?
Des Groenlands et des Norvèges
Vient-elle avec Séraphita ?
Est-ce la Madone des neiges,
Un sphinx blanc que l’hiver sculpta,
Sphinx enterré par l’avalanche,
Gardien des glaciers étoilés,
Et qui, sous sa poitrine blanche,
Cache de blancs secrets gelés ?
Sous la glace où calme il repose,
Oh ! qui pourra fondre ce cœur !
Oh ! qui pourra mettre un ton rose
Dans cette implacable blancheur !