Blanc

AU BONHEUR DES DAMES – ZOLA

AU BONHEUR DES DAMES

Lorsque nous étions adolescents, nous lisions, grâce à l’école, des classiques. Je vous ai présenté aujourd’hui des poèmes  restés enfouis au fond de ma mémoire et de mes classeurs. Ce journal est l’occasion rêvée pour mettre les choses en ordre. Un livre est toujours resté très présent et à contribué à ma découverte du textile : Au Bonheur des Dames de Zola. Il parle du blanc, de la lingerie, des magasins comme personne. Voici les extraits du chapitre 14  ou la répétition du mot Blanc permet de dynamiser les présentations. 
« En bas, enfin, l’exposition de blanc prenait, au fond des vitrines, une intensité de ton aveuglante. Rien que du blanc, un trousseau complet et une montagne de draps de lit à gauche, des rideaux en chapelle et des pyramides de mouchoirs à droite, fatiguaient le regard ; et, entre les « pendus » de la porte, des pièces de toile, de calicot, de mousseline, tombant en nappe, pareilles à des éboulements de neige, étaient plantées debout des gravures habillées, des feuilles de carton bleuâtre, où une jeune mariée et une dame en toilette de bal, toutes deux de grandeur naturelle, vêtues de vraies étoffes, dentelle et soie, souriaient de leurs figures peintes. Un cercle de badauds se reformait sans cesse, un désir montait de l’ébahissement de la foule.[…]

Ce qui arrêtait ces dames, c’était le spectacle prodigieux de la grande exposition de blanc. Autour d’elles, d’abord, il y avait le vestibule, un hall aux glaces claires, pavé de mosaïques, où les étalages à bas prix retenaient la foule vorace. Ensuite, les galeries s’enfonçaient, dans une blancheur éclatante, une échappée boréale, toute une contrée de neige, déroulant l’infini des steppes tendues d’hermine, l’entassement des glaciers allumés sous le soleil. On retrouvait le blanc des vitrines du dehors, mais avivé, colossal, brûlant d’un bout à l’autre de l’énorme vaisseau, avec la flambée blanche d’un incendie en plein feu. Rien que du blanc, tous les articles blancs de chaque rayon, une débauche de blanc, un astre blanc dont le rayonnement fixe aveuglait d’abord, sans qu’on pût distinguer les détails, au milieu de cette blancheur unique. Bientôt les yeux s’accoutumaient : à gauche, la galerie Monsigny allongeait les promontoires blancs des toiles et des calicots, les roches blanches des draps de lit, des serviettes, des mouchoirs ; tandis que la galerie Michodière, à droite, occupée par la mercerie, la bonneterie et les lainages, exposait des constructions blanches en boutons de nacre, un grand décor bâti avec des chaussettes blanches, toute une salle recouverte de molleton blanc, éclairée au loin d’un coup de lumière. Mais le foyer de clarté rayonnait surtout de la galerie centrale, aux rubans et aux fichus, à la ganterie et à la soie. Les comptoirs disparaissaient sous le blanc des soies et des rubans, des gants et des fichus. Autour des colonnettes de fer, s’élevaient des bouillonnés de mousseline blanche, noués de place en place par des foulards blancs. Les escaliers étaient garnis de draperies blanches, des draperies de piqué et de basin alternées, qui filaient le long des rampes, entouraient les halls, jusqu’au second étage ; et cette montée du blanc prenait des ailes, se pressait et se perdait, comme une envolée de cygnes. Puis, le blanc retombait des voûtes, une tombée de duvet, une nappe neigeuse en larges flocons : des couvertures blanches, des couvre-pieds blancs, battaient l’air, accrochés, pareils à des bannières d’église ; de longs jets de guipure traversaient, semblaient suspendre des essaims de papillons blancs, au bourdonnement immobile ; des dentelles frissonnaient de toutes parts, flottaient comme des fils de la Vierge par un ciel d’été, emplissaient l’air de leur haleine blanche. Et la merveille, l’autel de cette religion du blanc, était, au-dessus du comptoir des soieries, dans le grand hall, une tente faite de rideaux blancs, qui descendaient du vitrage. Les mousselines, les gazes, les guipures d’art, coulaient à flots légers, pendant que des tulles brodés, très riches, et des pièces de soie orientale, lamées d’argent, servaient de fond à cette décoration géante, qui tenait du tabernacle et de l’alcôve. On aurait dit un grand lit blanc, dont l’énormité virginale attendait, comme dans les légendes, la princesse blanche, celle qui devait venir un jour, toute puissante, avec le voile blanc des épousées. […]

Elles ne se lassaient pas de cette chanson du blanc, que chantaient les étoffes de la maison entière. Mouret n’avait encore rien fait de plus vaste, c’était le coup de génie de son art de l’étalage. Sous l’écroulement de ces blancheurs, dans l’apparent désordre des tissus, tombés comme au hasard des cases éventrées, il y avait une phrase harmonique, le blanc suivi et développé dans tous ses tons, qui naissait, grandissait, s’épanouissait, avec l’orchestration compliquée d’une fugue de maître, dont le développement continu emporte les âmes d’un vol sans cesse élargi. Rien que du blanc, et jamais le même blanc, tous les blancs s’enlevant les uns sur les autres, s’opposant, se complétant, arrivant à l’éclat même de la lumière. Cela partait des blancs mats du calicot et de la toile, des blancs sourds de la flanelle et du drap ; puis, venaient les velours, les soies, les satins, une gamme montante, le blanc peu à peu allumé, finissant en petites flammes aux cassures des plis ; et le blanc s’envolait avec la transparence des rideaux, devenait de la clarté libre avec les mousselines, les guipures, les dentelles, les tulles surtout, si légers, qu’ils étaient comme la note extrême et perdue ; tandis que l’argent des pièces de soie orientale chantait le plus haut, au fond de l’alcôve géante.« 
On peut parler d’une véritable mise en scène du blanc, magnifié pour les besoins du roman. Octave MOURET qui a crée le magasin sanctifie les matières en parlant d’autel, de tabernacle. Il  consacre ses affaires en les purifiant de blanc, se refait une image virginale. La symbolique du blanc ici est celle de la pureté, de l’immaculée.