Jaune

JAUNE de Catherine

JAUNE

Jaune, le soleil.

Étrangement, ce n’est pas la couleur qui m’éblouit lorsque je dis jaune, mais ce titre d’un film de Marguerite Duras qui m’avait plongée, à l’époque, dans une sorte de confinement cérébral autant qu’émotionnel, un film en noir et blanc, qui, paradoxalement, semble manquer de lumière, et baigne dans une atmosphère poétique oppressante. Trois personnages, dont le beau ténébreux Samy Frey, évoluent dans le huis clos d’un appartement où leurs échanges laconiques explorent la possible dénonciation de l’un d’eux, le juif.
Jaune, le Juif, c’est la couleur qui poursuit inlassablement la mémoire. Jaune, c’est plus qu’un mot, avant même d’être une couleur. Jaune, comme une vibration irrémédiable, qui confère à la couleur une douleur intense en même temps qu’un éblouissement. 
Mais aussi jaune pour rire, jaune. 
Et lorsque ces échos s’amenuisent, et qu’on laisse venir la couleur, jaune est celle des murs de la maison, jaune pâle ici et jaune d’or là, jaune est une présence douce et chaleureuse, une lumière confiante qui s’accroche au bois des livres, ces livres qui jaunissent de vieillerie et de nombreuses visites. Jaune, le soleil, dans la maison.
Jaune est aussi la couleur de ce chemisier de coton aux manches courtes qui jaillit de la photo où mes cheveux longs éparpillent une jeunesse étincelante, au temps où nous chantions au pied de la Sainte Beaume. Jaune, le soleil implacable de la Provence et de ses enfermements brûlants.
Et jaune la couleur de Flor Solis Major dont j’épinglais l’image dans chaque logis où elle veillait la solitude. Jaunes les tournesols de Van Gogh, leur prouesse d’émerveiller encore, avec leur tristesse éclatante, malgré leur enfouissement sous des profusions de vaisselles et de porte-clés. Jaunes, les soleils, puisque c’est le nom de ces fleurs.
Jaunes, les feuilles de métal qu’Anna Eva Bergman tisse dans ses tableaux pour exprimer la lumière en contraste avec le bleu intense de la peinture. Jaune, la lumière, dans d’intenses paysages vides, où terre, mer et ciel se disputent le regard, noyé dans le vertige des espaces infinis.
Jaune, le soleil et le sable, et le cri du désert. Jaune, tout ce qui éblouit, fracasse et reconstruit, jaune le tourbillon où le regard se consume et renaît d’un même battement de cils.