Je suis vert de colère
Contre ces pauvres types
Qui bousillent la terre,
Cette jolie terre
Que nos pères, nos
grands-pères
Avaient su préserver
Durant des millénaires.
Les usines fument.
Les moutons mangent leurs papas
Changés en granulés.
Les déchets ultimes,
La vache folle en prime,
Sont un p’tit cadeau du ciel
De nos industriels.
Je suis vert de colère
Contre ces pauvres types
Qui bousillent la terre
Vont à la dérive
Des poubelles radio-actives
Jusqu’au fond des lagunes
Et, même sans tapage,
Des maires de village
En enterrent dans leur commun’
Pour faire entrer des thunes.
Je suis vert de colère
Contre ces pauvres types
Qui bousillent la terre
Sont bourrés d’nitrates.
On shoote aussi bien les veaux
Qu’ les champions haut-niveau.
On s’fait des tartines
Au beurre de dioxine.
En voiture, on a l’ point vert
Pour doser nos cancers.
Comme une star de ciné
Accoudée au juke-box
Elle rêvait qu’elle posait
Juste pour un bout d’essai
À la Century Fox
Ses yeux couleur menthe à l’eau
Cherchaient du regard un spot
Le dieu projecteur
Bien sûr elle ne m’a pas vu
Perdue dans sa mégalo
Moi j’étais de trop
Qui méprise sa proie
Où frôlant le flipper
La chanson qui couvrait
Tous les mots qu’elle mimait
Semblait briser son coeur
La fille aux yeux menthe à l’eau
Hollywood est dans sa tête
Tout’ seule elle répète
Le décor couleur menthe à l’eau
Perdue dans sa mégalo
Moi je suis de trop
Et le charme est tombé
Arrêtant le flipper
Ses yeux noirs ont lancé
De l’agressivité
Sur le pauvre juke-box
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Arthur Rimbaud, Poésies