Blanc Le confinement

BLANC DE Catherine

BLANC

Blanc, couleur du lait, celui qu’enfant je ne buvais pas, écœurée. Les yeux au ciel
des adultes.
Plus tard, impossible de porter des habits blancs, à peine des corsages, chemisiers.
Le blanc, ce qu’immanquablement on tache. Fatalité du blanc pour la femme.
Être blanche, à Madagascar, dans l’adolescence, étrangère, déplacée. Visible.
Incongrue. Le blanc qui dérange.
La robe blanche, dans le livre de Nathalie Léger, celle de Pippa Bacca, dont elle
retrace le long périple qui finit mal. Pippa a entrepris, vêtue d’une robe blanche, de
traverser en autostop les pays en guerre pour y apporter de la paix et du lien. Faire
confiance aux conducteurs, et rencontrer là où elle s’arrête, des femmes dont elle
lavait les pieds en les écoutant parler de leur vie de femme. Tragique illusion du
blanc, dans un massacre de sang.
A Lille, plus tard, Hospice Comtesse, la réconciliation : le blanc de Safet Zec illumine,
fascine, comme un silence immense qui réfute la blancheur : les linges blancs de
Safet Zec ne sont pas tout à fait blancs, parce que froissés, mâchés, fripés, ridés sur
ou dans ces lits vides, empreints d’absence et gonflés de toute une histoire qui ne se
dit pas. Blanc d’absence, de silence, et dont la présence sensuelle est si puissante.
Toutes les nuances de blanc, dans ces peintures qui semblent vouloir déborder le
tableau, et que l’on croit toucher.
Safet Zec encore, et l’homme à la chemise blanche ouverte, qui prend presque toute
la place ; son visage estompé, effacé, sans regard ; sa tête penchée, tombante ; ses
mains sur les hanches, comme abandonnées. De ce buste d’homme surgit le
vêtement dont la blancheur enferme des couleurs tristes : les traces d’une vie, qu’on
devine douloureuse ? Et s’il s’agissait du peintre ?…
Plus loin, le voici démultiplié dans un triptyque, tout aussi privé de regard, de visage,
tout aussi vêtu de blanc ; mains croisées, dans la geste du suppliant, une cordelette
rouge suintant à son cou, puis assis, la tête enfouie dans un drap blanc, cette fois
éclatant. Cet homme invisible ou absent, témoigne d’une profonde désolation dont la
blancheur du vêtement semble seule à témoigner.
Le blanc se fait ici l’écho de tout ce qui efface un homme.
Le blanc se gonfle de la morsure des plaies humaines.
Dégagé de toute pureté, le blanc dit aussi la puissance des corps, et la chair qui
palpite sous ses plis.

Catherine, avril confiné 2020.