Lecture

REGGIANI et BAUDELAIRE

ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »


Baudelaire, Le Spleen de Paris, XXXIII


A écouter par Serge Reggiani : https://youtu.be/ZpKb5I6kxbM

Poème du 7 février 1864 dans Le Figaro n°937 puis repris dans le recueil posthume Petits poèmes en prose.
 Il a été mis en musique par Henri Dutilleux dans sa dernière œuvre : Le temps l’horloge
Lien vers l’interprétation de Renée Fleming : https://www.youtube.com/watch?v=WPphX-NvC2g
Mon amie Elisabeth a trouvé ce poème imprimé et scotché sur la porte de son immeuble ce matin par l’un de ses voisins : quelle belle idée !!!
Merci Elisabeth pour ta participation.
Merci à André et Pierre qui m’ont parlé de ces interprétations.