FAIRE SON TEMPS par Catherine ROBERT
Beaubourg, Paris, 07 mars 2020
hoquets sinistres
bouilloires et petits jouets
sous les loupiotes
un couple, un trio sixties
des enfants en brouette
Christian Boltanski utilise les vitrines horizontales ou verticales, les matériaux simples, la
photographie. Il collecte, il cumule, il amasse en compositions imparfaites du verre et du papier,
des cailloux et des gribouillages. Devant ce fatras universel, les larmes montent aux yeux en même
temps que le sourire.
un train sur la porte
en nudité neigeuse
colonne sèche
leitmotiv d’arbres et saisons
une famille en série
Christian Boltanski donne à entendre les battements de son cœur, des cœurs du monde entier, ad
vitam aeternam, face à des ombres chinoises – puisque le cœur est vie, puisque le cœur, un jour, il
s’arrête. C’est par l’anonyme que l’artiste transmet l’essence d’un siècle passé, d’espaces disparus,
de corps chagrins… une lettre, une aile, du rien, des poussières, des cendres. Flou, fou, le temps
est capté qui déverse des vapeurs au goût familier, en une surimpression tragique et apaisée.
toujours les boîtes
humbles en fer blanc rouillé
traces restituées
sur un étal ou data
ventilateur sur rideaux
Avant l’exposition, on imagine Christian Boltanski manipulant son grand bazar (courriers,
manuscrits, clichés, plaques, etc.), on se moque de la part d’authentique et de la part de fiction, on
est ému du monde donné à ressentir. C’est un buisson enchevêtré de détails et d’emprunts, un
fouillis d’identités pour le moins foudroyant – peut-être agaçant pour certains, je l’ignore – dans
lequel je m’immisce, je me souviens, je songe, je pense, je suis chamboulée, je « fais mon temps ».
la plage et le vent
pavillons acoustiques
en Patagonie
là où s’échouent les baleines
gardiennes d’anciens secrets.
Ce n’est pas qu’il nous en fait voir de toutes les couleurs puisque domine, non pas le noir & blanc,
mais une palette de gris ponctuée ici et là de bistre, carmin ou turquoise, sauf qu’on est un peu
malmené comme le feraient de nous une houle, une tempête de sable ou l’obscure menace d’une
perte. De cela, je ne me plains pas, « ne pas avoir d’égards envers moi » est ce que j’espère d’une
oeuvre dans laquelle je peux cheminer de la même manière que je progresse dans un livre ou dans
un film, sans trop me soucier de la vraisemblance ou de la chronologie et encore moins des bons
sentiments. Ici, je vadrouille parmi les ampoules papillotant qui impulsent mes synapses et
irradient mon cortex insulaire. J’ingère une substance trouée, aérée, perméable, je digère les
interstices passés et la puissance de vie pour deux heures d’intensité.
dis-moi, être seul
dis-moi, les larmes-les peurs
dis-moi, le vomi
dis-moi, pourquoi la souffrance
redis-moi la lumière
Christian Boltanski le répète souvent — Je suis un bon vivant. Je le crois, à savoir s’entourer de
proches dont les disparus soulignent le temps et ne me contrediront pas les dernières visions à
emporter (les Animitas) qui éblouissent de poésie. De même que le révélait l’image prise ce jour-là…
un ciel nuageux découpant de larges trouées radieuses.
Animitas blanc, Christian Boltanski, 2017
https://www.franceculture.fr/emissions/lart-est-la-matiere/une-visite-avec-christian-boltanski
Catherine Robert, le 07 mars 2020