Le BLEU

Matisse par Christine

LA CONVERSATION


1993. Centre Beaubourg. Une amie m’a invitée à l’exposition Henri Matisse 1904-1917 en nocturne. Un public plus averti qu’en journée. Possibilité de se planter devant les tableaux sans être trop interrompue dans sa rêverie. 
Matisse me fait beaucoup rêver avec son pouvoir de me raconter des histoires. Ces tableaux dans lesquels je suis souvent entrée dans des livres, chez moi, je les ai à portée de ma main. Une vitrine de pâtisserie fine qui fascine. Il s’agit de gourmandise illimitée. Choisir ce qu’on va goûter pour le déguster lentement. Passer au tableau suivant comme on avale une dernière bouchée délicieuse. Ne pas trop penser au deuil de quitter des yeux un tableau qu’on ne reverra sans doute jamais… Le catalogue de l’exposition est une maigre consolation.
Les aplats de couleur saturée s’adressent à tous mes sens en éveil absolu. Ils emplissent chaque cellule de mon corps, chaque neurone de mon esprit comme l’inépuisable d’un ciel matinal. Ils sont une promesse de bienfaisance, un viatique en cas de tristesse. 
Devant mes tableaux préférés, l’émotion est si forte que je sens mes larmes monter, mon estomac en ascenseur, mes jambes ramollir comme si c’était trop. Trop de beauté peut-il tuer?

Je découvre en chair et en os le bleu Matisse. Ce bleu Matisse, il est à portée de doigt dans le tableau LA CONVERSATION, dont j’ai acheté une reproduction. Le titre déjà, est génial. Tellement paradoxal avec ces deux personnages immobiles en relation par le regard comme si leur conversation était silencieuse. Pas besoin de mots entre ces deux-là, lui en pyjama, elle déjà habillée et coiffée. Prête à sortir…
Sauf que non, ils sont confinés tout deux. Le pyjama n’est pas signe de maladie, non, il est signe de prendre son temps et rester en pyjama pour vivre avec lenteur les activités qu’on aime. Leur visage est sérieux. Ils sont conscients de tout ce qui se joue dans la société pendant ce temps. Ils en parleront tout à l’heure, comme ils l’ont fait hier et le feront demain et les jours suivants. Ils se regardent, regard plongé dans l’autre. Ils ne sentent pas enfermés, juste arrêtés dans leurs mouvements quotidiens et répétitifs, finalement. Ils sont concentrés, centrés sur eux. Sur la Nature aussi. La fenêtre est ouverte sur un parc, un arbre protège leur intimité. Le bleu du ciel est libre. Libre de colorer en bleu le parterre de tulipes du parc. Libre de peindre les murs en bleu. Et le fauteuil aussi. Et même le pyjama à rayures, tant qu’il reste de la couleur au bout du pinceau!
« Un m2 de bleu est plus bleu qu’un cm2 du même bleu » disait Matisse. Il me semble ce matin de ciel bleu que sa dimension infinie converse avec nous et nous murmure en secret (pour ceux qui veulent bien l’entendre) Comment te sentir vraiment confiné(e) alors que je t’offre un espace infini de liberté bleue?

Merci Christine pour cette lecture de ce tableau magnifique.