Le Printemps
Texte de Nicole
Quelques oiseaux dans le ciel et comme une douceur dans l’air. Angèle ouvre sa fenêtre n’y
croyant plus. Faut-il que le printemps soit tardif cette année ! Les lilas ont fané sans
fleurir. Elle sent en elle cette sève nouvelle, comme de tout petits picotements dans les
jambes, dans les épaules. Il faudra que je change la toile cirée, celle-ci est vraiment trop
laide. Et demain s’il continue à faire doux, je lave les rideaux.
Elle s’est appuyée à la fenêtre, la tête en dehors, les yeux légèrement plissés. Comme c’est
bon la lumière de printemps ! Au-delà du jardin les rumeurs de la rue, des va-et-vient, des
enfants qui regagnent l’école, cartable au dos, dans des éclats de voix.
Elle aussi quand elle était petite…
Elle entend le martèlement des galoches et l’odeur verte du chemin lui chatouille encore les
narines.
C’était en……? Voyons elle ne va pas gâcher une belle journée à compter son âge ! Elle
ferait mieux de garder son énergie intacte pour bêcher le carré de jardin où les herbes
folles jouent à la marelle. Ah ! si j’attends que Jo se dérange..
A-t-on le droit d’avoir de l’âge quand il fait une si belle journée ? A-t-on le droit d’avoir
mal ici et encore là. Et je ne vous parle pas de…
Angèle écoute le bruissement des feuilles à naître, elle se dit que la Nature est bien plus
vieille qu’elle et qu’elle arrive encore tous les ans à faire des miracles. Je n’irai pas jusqu’à
faire des miracles, moi. Mais je pourrais descendre de mon perchoir, je suis comme la
reine-mère au balcon. Elle repense à cette toile de Manet ou Monet – déjà quand sa
mémoire ne lui jouait aucun tour elle les confondait, alors aujourd’hui !! – bref, cette
peinture avec de belles dames au balcon qu’un surréaliste facétieux représenta avec des
cercueils. Un cercueil assis au balcon !
Je veux qu’on mette mon cercueil à la fenêtre, pourquoi l’exhiber dans une chambre
sombre avec des cierges ? Je veux mourir au printemps. On mettra mon cercueil à cette
fenêtre et je pourrai voir les cytises de là-haut. et à la place des prières marmonnées par les
bigotes j’aurai le chant des oiseaux, comme aujourd’hui. Personne n’aura besoin de se
déranger. Veillée par les bergeronnettes et fleurie par le soleil des forsythia ! Elle soupire.
La tête blanche s’est inclinée au bord de la fenêtre. Les bras ont appuyé plus lourdement
sur la rambarde. Puis ont lâché.
La douceur de l’air n’y pourra plus rien. Madame Angèle nous a quitté avec l’arrivée du
printemps. Un coup d’air sans doute !