Catégorie : Lecture

  • Petit conte en vert de Lily de Périgueux

    Petit conte en vert 

    de Lily de Périgueux

    Se mettre au vert.
    Je vais me.
    C’est bien le moment.
    Dans mon jardin je robinsonne.
    Pendant ce temps la glycine 
    de mon voisin
    s’enlace à mon rosier 
    et fleurit entre ses branches.
    De peur qu’il ne la taille 
    j’ai demandé à mon voisin 
    de laisser l’amour s’épanouir.
    Peut-il l’avoir compris comme
    Une déclaration de ma part?
  • LE VERT DES SARDINES

    LE VERT DE 2 SARDINES – 1

    Je dis vert et je pense au vermeil
    vérité première ; sans verbiage
    Sans  être verbeux, j’essayerai la versification
    Avant, boire un verre, essayer le vertugadin
    ou la baguette verte.
    Cette vérité me donne le vertige et Vercingétorix
    En aurait eu le vertigo sur son alezan
    Envers et contre tous…
    Mais tournons la page, arrivons au verso
    Je vais poser la vermille
    Je n’attraperai pas de vermine
    Je me mettrai sous la véranda car
    Il pleut à verse, je vais donc prendre
    de la vergeoise, en fabriquer des verrines
    Celles-ci ne seront pas vermiculées
    et n’auront  besoin de vérins
    Elles ne seront pas vermeilles
    Je pourrais leur ajouter un peu de verjus
    Afin d’obtenir un véritable goût
    A la  couleur pas du tout vermeil
                                       
    Jean-Claude
    Je dis vert
     et je verse ma conversation véritable
     sous couvert de vérité
     à la version versatile d’un vertébré,
     vermisseau ou verrat. Nul ne m’y verra.
    Je dis vert…
    Arriver au verset couvert de vers verts.
    La verveine véhicule le vernaculaire vers la véranda.
    Le vermicelle dans la verdure devient verdâtre.
    Le verger verdoyant vérifie le verdict de la verrière.
    Je dis vert.  
    Vers toi avec ma valise de vers !
    Vivre sa vie de véritable voyageuse invisible !
    Francesca
  • Confiné, confiné….

    Confiné, confiné….

    Depuis ce confinement, j’ai retrouvé le temps : on ne court plus, on reste là plutôt qu’ailleurs, on regarde autour de soi, on range et on fait peau neuve. J’ai aussi renoué avec le téléphone et les conversations avec mes amies sans chronomètre. Est ce aussi cela le début de l’Après ?
    Et puis, les nouvelles occupations : sollicitée par mon amie Nicole dont vous avez certainement lu les textes, je fais des exercices d’écriture. Que dis-je !!! Des jeux dans un groupe d’écriture. Je suis impressionnée par le talent de leurs mots et ne pensais jamais faire de tels jeux. Et pourtant, j’aime ces mots, j’aime les lire, j’aime le vocabulaire textile si dense, si précis, si varié (une idée pour une prochain atelier  d’écriture ?) ….Bref, me voici embarquée dans l’aventure des « Sardines Frayeuses ».
    A chaque rencontre virtuelle, Nicole nous propose des jeux d’écriture : et elle ne manque assurément pas d’idées…
    Et nous avons 30 minutes pour écrire un petit quelque chose : pas facile pour moi. La barre est haute et je n’ai pour moi, que mon plaisir de relever le défi. Allons, aucun risque si ce n’est de se décevoir soi-même. Jouons donc !
    Avec leur accord, je vais vous livrer leurs mots sur le vert durant la semaine. A tout seigneur, tout honneur, je commence aujourd’hui par un texte (hors concours !) de Nicole. 

    Et vous qu’auriez vous dit ?

  • Blanche ballade de Catherine ROBERT

    Blanche ballade de Catherine ROBERT

    Signe la symbiose du ciel
    Et de la passion d’autrefois
    Nuit douce dans les ruelles
    Là où le passé se déploie
    De cela on revient – Parfois
    L’on prie pour que jamais ne croise
    De ces souvenirs qui nous noient
    Comme neige qu’on apprivoise

    Il est des prospectives, belles
    Dans le silence sur les toits
    Des esquisses teintées de miel
    Bourdonnant comme de vieux crétois
    De cela on se souvient – Coi
    Dessous le soleil qui nous toise
    Tant on ignore les pourquoi
    Comme neige qu’on apprivoise

    S’étonner après le sommeil
    D’une brume que l’on perçoit
    De flocons, de leurs ribambelles
    De lueurs et rêves de froid
    De cela on fait sien – Crois-moi
    Feu et glace s’entrecroisent
    Fondent sur nous de tout leur poids
    Comme neige qu’on apprivoise

    Nîmes – Malgré moi malgré toi
    Tes pierres me saignent turquoise
    Corail où s’oublient les abois
    Comme neige qu’on apprivoise

  • STRATÉGIE DE LA PEUR

    STRATÉGIE DE LA PEUR

    de Gilles CLEMENT

    Je me permets de vous mettre ce texte de Gilles CLEMENT écrit en ces temps de confinement.
    Gilles CLEMENT est un artiste-jardinier, un vrai, un amoureux de la terre, des végétaux. J’ai eu le plaisir de visiter quelques uns de ses jardins qu’il a pensé pour de grands moments de plaisirs végétaux et de pensée.  Vous le connaissez : Parc Citroën à Paris, Abbaye de Valloires en Baie de Somme, l’Arche de la Défense, les jardins du musée du Quai Branly entre autres. Cela vous dit quelque chose ?

    Je me permets de vous livrer ici sa lettre ouverte durant le confinement que vous pourriez retrouver sur son site :  http://www.gillesclement.com/cat-communique-tit-Communiques
    Lisons et réfléchissons, choisissons à demain…


    Nous ne sommes pas en guerre. Le covid nous rassemble, il ne nous divise pas. Il ne fait aucune distinction entre riches, pauvres, blancs, noirs, chômeurs ou traverseurs de rues. Mais il se présente comme un imprévisible danger à tous, un commun à partager. 

    L’imprévisible danger,- quelle que soit sa nature -, place le pouvoir en devoir de contrôle absolu et légitime sous le prétexte d’une lutte contre le danger en question. D’où le vocabulaire guerrier utilisé pour développer sans complexe une stratégie de la peur dont l’utilité politique est la soumission. Il est facile de diriger un peuple soumis, impossible de procéder de la même façon avec un peuple libre. 

    Il faut donc asservir le peuple au masque, aux gestes barrière, aux distances réglementaires et à la consommation orientée : tous les magasins sont fermés sauf les grandes surfaces. Les multinationales du pouvoir ont tous les droits, y compris ceux de la transmission du virus par inadvertance, elles agissent au nom de la « guerre » contre l’ennemi, tout peut arriver. 

    L’ennemi pour ces instances n’est pas un invisible virus, une pandémie, mais un possible accès à un autre modèle de vie. Le pire serait d’aboutir à une économie de la non-dépense. Pour elles ce serait un horrible cauchemar. Elles tentent de l’éviter à tous prix. On s’arrange pour sortir les milliards de la poche, ils reviendront. L’important n’est pas de sauver des vies mais de sauver le modèle économique ultra -libéral, destructeur de la vie sur la planète, tout le monde le sait, mais bon pour les banques. Par conséquent il convient d’assurer une stratégie d’accroissement de la peur afin d’obtenir de la plus grande majorité des habitants de la planète une soumission au mode de vie établi par le principe sacralisé de la croissance. Les médias officiels regorgent d’arguments sur ce thème, les économistes invités renforcent le discours : il n’est pas question de changer de mode de vie mais de le reprendre en douceur avec une totale fermeté, dès la fin des confinements. Le patron du Medef va jusqu’à forcer la reprise au travail qui tue avant même que s’achève la crise. Les informateurs nous préparent à cette option et seulement à celle -là : oui vous pourrez consommer, consommer, consommer, ne vous inquiétez pas, faites ce qu’on vous dit de faire. 

    Peuple obéissant nous nous masquons. Derrière ce chiffon de fortune nous affrontons sans discussion les réalités de terrain, l’abandon des services publics, le naufrage des hôpitaux, la souffrance des soignants, désormais sanctifiés alors qu’on les gazait trois mois auparavant, nous remplissons les attestations de déplacement dérogatoire en toute humilité pour acheter du pain ou de la farine pour fabriquer le pain chez soi car il faut se confiner…, nous faisons ce qu’on nous dit de faire. 

    Sans doute faut-il passer par cette case pour supporter le « pic » et entrevoir le futur en se libérant de la pandémie. Le confinement rassure ou exaspère, c’est selon, mais il joue un rôle très singulier dans la vie des humains consommateurs que nous sommes en nous obligeant à concevoir une autonomie biologique de base : comment faire la cuisine, par exemple…. Nous redécouvrons les gestes de la gestion domestique ancestrale et quasi paysanne. Ceux qui ont un jardin ont de la chance. Pour eux le confinement vacanciel devient une occasion inespérée de transformer l’espace ornemental en urgence vivrière ; l’un n’empêche pas l’autre : un potager est aussi un paysage. Quelle que soit la situation nous nous trouvons tous, – nous, passagers de la Terre-, en devoir d’inventer un nouveau mode vie : celui de la non dépendance à un service vital qui prend le risque de tomber en panne à la moindre palpitation d’un virus.

     Pour cette raison la multiplicité culturale et culturelle, la diversité variétale des espèces adaptées aux différents sols et aux différents climats du monde, la capacité pour chaque micro-région de se rendre autonome d’un point de vue de la production et de la distribution alimentaire, la diversité des structures artisanales capables d’en faire … Toutes ces perspectives se présentent à nous comme des possibilités tangibles d’affronter le futur. Cela suppose l’abandon d’un vision mondialisée des échanges où la « compétitivité » (un mot qui se bégaie à l’infini) demeure le véritable outil de guerre, car la guerre est bien là et non uniquement dans un affrontement au vivant mal connu sous une forme de virus. De cette compétitivité absurde et dangereuse naît le marché international effréné faisant circuler le soja ou l’huile de palme d’un bout à l’autre de la planète, pour des raisons douteuses et non indispensables mais qui rapportent. A-t-on jamais calculé le coût écologique d’une fraise venue d’Espagne, d’une rose venue de Colombie, d’un outil, d’un laser ou d’un bout de tissu venu de Chine ….et de tous les produits qu’il est possible de produire in situ mais que l’on fait venir de loin ? 

    Ce constat de la dépendance absurde et dangereuse risque bien sûr d’être récupéré par les nationalistes décérébrés dont la tendance est de s’enfermer sur un modèle local-réac activé par un racisme sous jacent. On ne peut extraire de leur névrose les malades qui ont une vision de l’ autre comme ennemi. Ceux-là n’ont pas compris que nous sommes dans l’espace étroit du Jardin planétaire, cette petite biosphère, nageant tous ensemble dans le même bain, celui qui nous permet de vivre. Oui, l’eau que nous buvons a déjà été bue par des plantes, des animaux et des humains avant nous. Plusieurs fois. Telle est notre condition de partage. Il en est des virus comme de l’eau ou de l’air que nous respirons. 

    Il faut reprendre donc la machine à calculer. Si l’on affecte les coûts de la réparation écologique obligatoire pour espérer pouvoir vivre demain il faut changer urgemment de mode de vie, c’est à dire de consommation, en inversant le modèle de convoitise. Ne pas forcer le « pauvre » à désirer un SUV et douze paires de baskets mais à comprendre où l’on vit et pourquoi c’est le chant des oiseaux qui nous équilibre, pas celui des pots d’échappement le long des trottoirs à joggings forcés. Est-ce envisageable ?

    Rien n’est moins sûr mais la prise de conscience venue du covid19 laisse penser aux habitants du monde entier qu’ils doivent envisager sérieusement cet autre mode vie. Les puissants de ce monde s’opposeront avec violence à cette tendance. Ils en ont déjà fait la démonstration à très petite échelle : une armée de CRS face aux zadistes de Notre Dame des Landes dont l’immense péché ne venait pas d’user de terres squattées mais d’inventer un art de vivre qui utilise la diversité sans la détruire dans une économie assumée de la non dépense… Et qui pourrait servir de modèle ! Il fallait à tout prix éteindre ce feu. 

    Mais le feu n’est pas éteint. 

    Il couve. 

    Il peut embraser les continents du futur. Non pour les achever dans la détresse des cendres mais pour les sauver de la destruction par le marché et la plonger dans la dynamique d’un re-création : réapprendre à vivre. Faudra-t-il un jour remercier les micros organismes de nous avoir ouvert les yeux ? 
    Gilles Clément
    13 avril 2020
                                         
  • Nos Pâques

    Nos Jours de Pâques

    En ce jour de Pâques, je me souviens !
    Je me souviens des socquettes blanches, du gilet blanc et de la nouvelle robe blanche que nous mettions pour fêter Pâques ! Ce jour était exceptionnel : mes parents prenaient le temps, ne travaillaient pas. La robe était neuve, l’ouverture d’une nouvelle saison. Il n’y avais pas de chocolat, pas d’œuf dans la cour du restaurant de mes parents. Il faisait beau, la journée était joyeuse. Les cloches sonnaient à toute volée. Nous allions à la messe et les chants résonnent encore à mes oreilles. En sortant, nous achetions des pâtisseries. Il y avait la queue devant le magasin et nous attendions en nous délectant de notre choix : hésitations, c’est la fin du carême et tout est tentant. Finalement, sans surprise, je choisissais le cygne, vous savez avec de la crème blanche chantilly et les ailes. 
    Et puis, l’après midi, nous rencontrions les grands parents : nous avions droit à un sachet transparent de ces œufs à la liqueur très sucrée, que nous nous partagions. Je ne sais s’ils existent toujours, avec leurs couleurs pastellisées. C’était une journée hors du temps mais assurément blanche !
    Souvenirs, souvenirs….
    Vous avez les vôtres et vous avec pris le temps de me les envoyer : merci à vous ! 
    Babeth 


    À Pâques, il fallait toujours avoir quelque chose de neuf, ne serait-ce qu’une paire de socquettes blanches, mais c’était souvent une nouvelle robe.
     Puis on se retrouvait tous , après la messe, chez ma grand mère, au village, pour chercher les œufs en chocolat soigneusement cachés dans le jardin.
     Le midi, toute la famille se rassemblait devant un gigot d’agneau et des haricots verts « extra fins » comme les souhaitait mon oncle.
     J’ai l’impression de sentir encore l’odeur de ce gigot, piqué d’ail.


    Annie 


    Pâques de mon enfance… 
    C’est loin…mais il me reste une sensation de légèreté… 
    Je me souviens des vêtements neufs que ma mère avait confectionnés. 
    J’entends encore le bruissement du fer sur la patte mouille et l’odeur dégagée. 
    C’est ancré dans ma mémoire, tellement souvent entendu et sentie ; il faut dire 
    qu’on ne connaissait pas le prêt à porter, si ce n’est pour mes frères. 
    Donc je mettais ces vêtements neufs qui attendaient, chaussais des chaussures légères, 
    nouvellement achetées, portées avec des socquettes blanches, bien sûr ! 
    Finies pour quelques temps, les chaussettes de laine tricotées par ma grand-mère. 
    C’était le retour des vêtements plus légers, aux couleurs claires, 
    sans se soucier de la météo, puisque c’était Pâques…. 
    Puis on partait à la messe. 

    La chasse aux œufs ? Je me souviens des cloches qu’on entendait tinter à toute volée.
     Il parait qu’elles revenaient de Rome. Tout excité, 
    on regardait alors si elles avaient laissé tomber quelques friandises. (Ce que l’on était naïf !) 
    Peut être quelques petites fritures de chocolat ou quelques petits œufs en sucre et à la liqueur.
     Par contre je me souviens bien, avoir trouvé quelques fois, 
    dans les massifs de fleurs et surtout pas dans le potager, des œufs durs, 
    mais des œufs durs qui avaient des coquilles de couleurs !
     Et puis Pâques, c’était aussi nos gros cerisiers, des guigniers d’ailleurs, 
    qui n’étaient que fleurs. Ils étaient tellement beaux ! 
    Alors, devant vêtus de nos beaux habits, 
    on posait et mon père nous photographiait.

  • Lettre d’intérieur

    Seul l’amour sait nous raconter….

    par Yasnima Khadra

    A l’intention de Martine pour ces jours particuliers…

    Paris, le 2 avril 2020.

    Ma chère petite maman,


    Depuis quelques jours, je suis confiné chez moi à cause du coronavirus. L’enfermement est devenu une habitude, pour moi. Je sors rarement. Le temps parisien ne se prête  guère à un enfant du Sahara qui ne reconnaît le matin qu’à sa lumière éclatante et qui a toujours rangé la grisaille du côté de la nuit. 

    Je suis en train de terminer un roman — le seul que j’aurais aimé que tu lises, toi qui n’as jamais su lire ni écrire. Un roman qui te ressemble sans te raconter et qui porte en lui le sort qui a été le tien. 
    Je sais combien tu aimais la Hamada où tu adorais traquer la gerboise dans son terrier et martyriser les jujubiers pour quelques misérables fruits. Eh bien, j’en parle dans mon livre comme si je cherchais à revisiter lieux qui avaient compté pour toi. Je parle des espaces infinis, des barkhanes taciturnes, des regs incandescents et du bruit des cavalcades. Je parle des héros qui furent les tiens, de Kenadsa et de ses poètes, des sentiers poussiéreux jalonnés de brigands et des razzias qui dépeuplaient nos tribus. 
    C’est toi qui m’as donné le courage de m’attaquer enfin à cette épopée qui me hante depuis des années. Je craignais de n’avoir pas assez de souffle pour aller au bout de mon texte, mais il a suffi que je pense à toi pour que mes peurs s’émiettent comme du biscuit. 
    Chaque fois que j’emprunte un chapitre comme on emprunte un passage secret, je perçois une présence penchée par-dessus mon épaule. Je me retourne, et c’est toi, ma maman adorée, ma petite déesse à moi. Je te demande comment tu vas, Là-haut ? Tu ne me réponds pas. Tu préfères regarder l’écran de mon ordi en souriant à cette écriture si bien agencée dont tu n’as pas les codes. Je sais combien tu aimes les histoires. Tu m’en racontais toutes les nuits, autrefois, lorsque le sommeil me boudait. Tu posais ma tête sur ta cuisse et tu me narrais les contes berbères et les contes bédouins en fourrageant tendrement dans mes cheveux. Et moi, je refusais de m’assoupir tant ta voix était belle. Je voulais qu’elle ne s’arrête jamais de bercer mon âme. Il me semblait, qu’à nous deux, nous étions le monde, que le jour et la nuit ne comptaient pas car nous étions aussi le temps. 
    C’est toi qui m’a appris à faire d’un mot une magie, d’une phrase une partition et d’un chapitre une saga. C’est pour toi, aussi, que j’écris. Pour que ta voix demeure en moi, pour que ton image tempère mes solitudes. Toi qui frisais le nirvana lorsque tu te dressais sur la dune en tendant la main au désert pour en cueillir les mirages ; toi qui ne pouvais dissocier un cheval qui galopait au loin d’une révélation divine, tu te sentirais dans ton élément dans ce roman en train de forcir et tu ferais de chacun de mes points d’exclamation un point d’honneur. Comment oublier l’extase qui s’emparait de toi au souk dès qu’un troubadour inspiré se mettait à affabuler en chavirant sur son piédestal de fortune ? 
    Pour toi, comme pour Flaubert — un roumi qui n’était ni gendarme ni soldat, rassure-toi — tout était vrai. Étaient vraies les légendes décousues, vraie la rumeur abracadabrante, vrai tout ce qui se disait parce que, pour toi, c’était cela le pouls de l’humanité. Quand il m’arrive de retourner à Oran, je vais souvent m’asseoir à notre endroit habituel et convoquer nos papotages qui se poursuivaient, naguère, jusqu’à ce que tu t’endormes comme une enfant. 
    C’était le bon vieux temps, même s’il ne remonte qu’à deux ans — deux ans interminables comme deux éternités. Nous prenions le frais sur la véranda, toi, allongé sur le banc matelassé et moi, tétant ma cigarette sur une marche du perron, et nous nous racontions des tas d’anecdotes en riant de notre candeur. Tu plissais les yeux pour mieux savourer chaque récit, le menton entre le pouce et l’index à la manière du Penseur. 
    Mon Dieu ! Que faire pour retrouver ces moments de grâce ? Quelle prière me les rendrait ? Mais n’est-ce pas dans l’ordre des choses que de devoir restituer à l’existence ce qu’elle nous a prêté ? On a beau croire que le temps nous appartient, paradoxalement, c’est à lui que revient la tâche ingrate de séparer à jamais ceux qui se chérissent. Ne reste que le souvenir pour se bercer d’illusions. Ma petite maman d’amour, depuis que tu es partie, je te vois dans toute grand-mère ? Qu’elles soient blondes, brunes ou noires, il y a quelque chose de toi en chacune d’elles. Si ce ne sont pas tes yeux, c’est ta bouche ; si ce n’est pas ton visage, ce sont tes mains ; si ce n’est pas ta voix, c’est ta démarche ; si ce n’est rien de tout ça, c’est l’émotion que tu as toujours suscitée en moi. 
    Et pourtant, partout où je vais, même là où il n’y a personne, c’est toi que je vois me faire des signes au fond des horizons. Tantôt étoile filante dans le ciel soudain triste que tu lui fausses compagnie, tantôt île de mes rêves au milieu d’un océan de tendresse aussi limpide que ton cœur, tu demeures mon aurore boréale à moi. Si je devais un jour te rejoindre, maman, je voudrais qu’il y ait une part de nous deux dans tout ce qui nous survivrait. Puisque seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter.



    Les lettres d’intérieur de Augustin Trapenard
    France Inter – 8h55


  • CHENG François, ode à la vie

    La mort n’est point notre issue

    La mort n’est point notre issue
    Car, plus grand que nous
    Est notre désir, lequel rejoint
    Celui du Commencement,
    Désir de vie.
    La mort n’est point notre issue,
    Mais elle rend unique tout d’ici :
    Ces rosées qui ouvrent les fleurs du jour,
    Ce coup de soleil qui sublime le paysage,
    Cette fulgurance d’un regard croisé,
    La flamboyance d’un automne tardif,
    Ce parfum qui assaille et qui passe insaisi
    Ces murmures qui ressuscitent les mots natifs,
    Ces heures irradiées de vivats, d’alléluias,
    Ces heures envahies de silence, d’absence,
    Cette soif qui jamais ne sera étanchée
    Et la faim qui n’a pour terme que l’infini…
    Fidèle compagne, la mort nous contraint
    A creuser sans cesse en nous
    Pour y loger songe et mémoire ;
    A toujours creuser en nous
    Le tunnel qui mène à l’air libre.
    Elle n’est point notre issue.
    Posant la limite,
    Elle nous signifie l’extrême exigence de la Vie,
    Celle qui donne, élève.

    François CHENG

                                        

  • Lettre ouverte Ariane ASCARIDE

    Lettre ouverte d’Ariane ASCARIDE

    Je ne puis m’empecher de reproduire ici la lettre ouverte d’Ariane Ascaride, entendu sur France Inter. Chaque matin, cette radio en lien avec France Culture, diffuse une lettre ouverte d’acteurs culturels de notre monde. Je vous ai parlé de Edgar Morin avec Sylvette, de Sylvain Tesson. Aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous celle-ci.

    Pour l’écouter : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-26-mars-2020

    Ariane Ascaride est comédienne. Elle est née à Marseille, vit à Montreuil. Son nom est associé au cinéma de Robert Guédiguian. Dans cette lettre de contrition adressée à un adolescent inconnu, elle explique en quoi la pandémie actuelle révèle et exacerbe les inégalités sociales.


    Montreuil, le 26 mars 2020
    Bonjour « beau gosse »,


    Je décide de t’appeler « Beau gosse ». Je ne te connais pas. Je t’ai aperçu l’autre jour alors que, masquée, gantée, lunettée, j’allais faire des courses au pas de charge, terrifiée, dans une grande surface proche de ma maison. Sur mon chemin, je dois passer devant un terrain de foot qui dépend de la cité dans laquelle tu habites et que je peux voir de ma maison particulière pleine de pièces avec un jardin. 

    Je suis abasourdie de vivre une réalité qui me semblait appartenir à la science fiction. 

    À mon réveil chaque jour je prends ma température, j’aère ma maison pendant des heures au risque de tomber malade, paradoxe infernal et ridicule. La peau de mes mains ressemble à un vieux parchemin et commence à peler, je les lave avec force et savon de Marseille toutes les demie heures. Si je déglutis et que cela provoque une légère toux, mon sang se glace et je dois faire un effort sur moi-même pour ne pas appeler mon médecin. Je n’ai d’ailleurs pas fui en province pour rester proche de lui. Je deviens folle ! 
    Sortir me demande une préparation  mentale intense, digne d’une sportive de haut niveau, car pour moi une fois dehors tout n’est que danger ! Et c’est dans cet angoissant état d’esprit, que je t’ai vu, loin, sur ce terrain de foot, insouciant, jouant avec tes copains, vous touchant, vous tapant dans les mains comme des chevaliers invincibles protégés par le bouclier de la jeunesse.
    Vous étiez éclatants de sourire, d’arrogance, de vie mais peut-être  aussi porteurs de malheurs inconscients. 
    Si vous étiez dehors, c’est qu’il n’est pas aisé d’être je ne sais combien dans un appartement toujours trop étroit, c’est invivable et parfois violent. Vos parents travaillent, eux, toujours, à faire le ménage dans des hôpitaux sans grande protection ou à livrer toutes sortes de denrées et de colis que nous récupérerons prudemment avec nos mains gantées après qu’ils ont été posés devant nos portes fermées. Prudence oblige. 
    Bakari, je suis née dans un monde similaire au tien je n’ai eu de cesse de l’avoir toujours très présent dans mon cœur et ma mémoire, et je n’ai eu de cesse de le célébrer et d’essayer de faire changer les choses. 
    Aujourd’hui je te demande pardon, à toi porteur sain certainement qui risque d’infecter l’un des tiens.

    Je te demande pardon de ne pas avoir été assez convaincante, assez entreprenante, pour que la société dans laquelle tu vis soit plus équitable et te donne le droit de penser que tu en fais partie intégrante. Tout ce que je dis aujourd’hui, tu ne l’entendras pas, car tu n’écoutes pas cette radio. 
    Je voudrais juste que tu continues à exister, que ta mère, ton père, tes grands-parents continuent à exister, à rire et non pleurer. 
    Je ne sais pas comment te parler pour que tu m’entendes : je suis juste une pauvre folle masquée, gantée, lunettée, qui passe non loin de toi et que tu regardes avec un petit sourire ironique car tu n’es pas méchant, tu es simplement un adolescent qui n’a pas eu la chance de mes enfants.
    Ariane Ascaride
  • La Cétoine dorée de Catherine

    La Cétoine dorée de Catherine



    La seule façon de distancier, c’est créer, s’aérer.

     Écouter une sonate de Debussy, une tendre élégie. 

    Dehors, personne ?

     Faux, il y a les rendez-vous des mésanges, le chant du merle et les coquelicots qui frémissent à la brise. Pas encore de cétoines dorées sur les fleurs mais en fouillant le compost, d’innombrables de leurs larves.